En cette époque de canicules à répétitions, de saisons trop chaudes ou tiédasses¹, de fonte des glaciers et de la banquise, on ne peut que se réjouir de la réapparition occasionnelle d’un véritable épisode hivernal, comme ce fut le cas il y a peu, entre la fin décembre et la mi-janvier : températures négatives, courant de bise, chutes de neige à répétition jusqu’à basse altitude sans période de redoux pour venir tout gâcher, tous les ingrédients étaient réunis pour offrir un magnifique décor à nos randonnées déconfinées.
Ajoutons des vacances scolaires un peu plus longues que d’habitude à Genève, le réflexe de calfeutrage d’une partie des foules urbaines lorsque le thermomètre baisse ou la bise se lève, les départs en masse vers les stations, la neige artificielle et le « variant anglais » du SARS-Cov2, plus les inévitables rituels de gavage collectif auxquels l’humanité riche aime s’adonner à cette période de l’année, et l’on comprendra que les conditions étaient véritablement idéales pour profiter de la nature hivernale en toute quiétude.
Enfin presque, car au cours de ces sorties, j’ai croisé quand même pas mal de randonneurs à pied, en raquettes ou à ski. Mais peu importe, ce n’était jamais la foule et tous les visages m’apparaissaient rayonnants. Des vrais visages, non masqués, un truc fou qu’on ne voit pratiquement nulle part ailleurs que dans la nature !
J’ai adoré arpenter la région désertée. Mes pneus neufs ont bien accroché dans la neige sèche, que ce soit au Mont-Sion, au pied du Jura ou sur la route de la Barillette. Bien sûr, il a parfois fallu pousser, notamment pour traverser les grosses congères amassées par la bise au sommet du Mont-Sion, très exposé. Sous certains angles, dans la grisaille et les tourbillons de neige soulevés par le vent du nord-est, on aurait pu se croire en Arctique, ou en Antarctique…
Et les forêts jurassiennes plâtrées de blanc évoquaient bien plus la Scandinavie que le pays lémanique !
Lorsque la bise se déchaîne, j’aime prendre le train pour Lausanne, afin de ne pas avoir à lutter en permanence : quand on roule vers Genève, on a le vent dans le dos. Et si l’on ne se contente pas de suivre la route du lac, le parcours est varié : mer et montagne dans la même journée ! Il y a de très beaux panoramas sur le lac et les Alpes entre Ouchy et Préverenges – un paysage lacustre bien plus inspirant que la minuscule rade de Genève, avec ses bagnoles et son béton omniprésents. A partir de Morges, on s’en va crapahuter à travers le vignoble en direction du pied du Jura et de son environnement pastoral et forestier. A quelques kilomètres de l’urbanisation lémanique en constante expansion, le contraste est saisissant lorsqu’on entre dans les bois silencieux de Yens/Ballens.
Je connais quelques bancs ça et là, abrités de la bise, pour la pause pique-nique. Au-delà de Gimel, j’apprécie beaucoup la route du vallon de Prévondavaux, mais attention : elle n’est pas déneigée et régulièrement verglacée dans sa partie supérieure, toujours à l’ombre ; on peut contourner cette section par le marais des Inversins, pour retrouver la route du Marchairuz et rejoindre Le Vaud ou Marchissy. Lorsqu’il y a trop de neige en altitude, on peut généralement se faire plaisir sur les chemins agricoles et forestiers au pied du versant sud du Jura, notamment entre Marchissy, Le Vaud, Bassins, Moinsel, pour arriver à la route d’Arzier.
Un matin, j’avais décidé de prendre le train pour Lausanne, puis ai changé d’avis après avoir regardé les images de la webcam de la Barillette, au-dessus du stratus. Je suis donc descendu du wagon à Coppet et ai rejoint le pied du Jura à Bonmont. J’ai d’abord emprunté les chemins forestiers que je connais, où j’ai dérangé un beau chevreuil – désolé. Après avoir porté mon vélo par-dessus l’un de ces grands foutoirs causés par les bûcherons, j’ai dû pousser dans la haute neige, redoutant d’avoir mal vu l’image de la webcam et de devoir renoncer à l’ascension : la route ne serait pas déneigée.
Quel plaisir, un peu plus loin, de constater que le chasse-neige était bel et bien passé ! Je n’avais juste pas pris le bon départ. Outre le déneigement (pour permettre l’accès aux installations de Swisscom et Skyguide ?), l’autre grand avantage de cette route est qu’elle est fermée au trafic en hiver. On monte ainsi en toute tranquillité à travers la forêt, jusqu’à percer la couche de stratus qui ce jour-là atteignait environ 1300 mètres. Le ciel s’était voilé entre temps et il ne fallait guère compter sur le soleil pour sécher les vêtements mouillés durant la montée. Mieux vaut alors avoir une bonne veste pour ne pas trop se refroidir durant le pique-nique ! Lorsque j’étais là-haut, la station météo de la Dôle, voisine, a mesuré un maximum de moins 5.3 degrés…
La contemplation de la chaîne des Alpes s’élevant au-dessus de la mer de brouillard reste un moment magique, d’autant plus quand le panorama est à 180 degrés et que l’on reconnaît tant de sommets, parmi lesquels l’Eiger, le Mönch, la Jungfrau, les Diablerets, les Dents du Midi, le Cervin, le Grand Combin, l’Aiguille Verte, le Massif du Mt Blanc, les Alpes et Préalpes de Savoie, plus un tout petit bout des Voirons – mais pas de Salève, noyé dans la peuf…
Restait à affronter la descente, que je redoutais en raison du verglas omniprésent sous la fine couche de neige. J’ai enfilé tous les vêtements que j’avais et me suis lancé, à 15 km/h au moins, parfois 10 et même en poussant le vélo aux passages les plus glissants. Une vraie patinoire, malgré mes pneus très dégonflés, surtout vers le bas où aucune neige ne recouvre la glace vive. La traversée de la couche de stratus a été réfrigérante : moins 7.7 degrés, selon la mesure d’un camarade vététiste descendu peu après moi. A ces températures, en descente, même avec de bons gants, on se retrouve vite incapable de manœuvrer avec une dextérité suffisante le freinage sur glace. Cela n’a toutefois pas découragé un gars à VTT électrique de monter en short ! A part nous trois, les autres bipèdes sur la montagne étaient à ski ou en raquettes…
Le retour est parfois l’occasion d’assister à de beaux crépuscules, comme par exemple le 26 décembre au bord du lac de Divonne (Ain)…
D’autres images des ces sorties hivernales peuvent être visionnées en diaporama ici et là.
¹ Voir notamment les publications suivantes de MétéoSuisse : Changement climatique mondial – état actuel des connaissances, Changement climatique, 2020 : extrêmement chaud, ensoleillé…, Réchauffement 1864-2099 (liste très largement non exhaustive)